CIRM : Centre National de Création Musicale UCA
Manca 2022
MANCA
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LES CLOCHERS DU VIEUX-NICE EN RéSONNANCE

Les clochers du Vieux-Nice en résonnance de Llorenç BARBER

Année de composition : 2000
Durée : 60.00 minutes

Formation :

Pour une centaine de sonneurs

Contexte CIRM

  • Programmée en création mondiale - Dans le cadre du Festival MANCA 2000 "Portraits croisés", le dimanche 5 novembre 2000, à 16h30. Llorenç Barber , en grand ordonnateur et l'Amicale des Sonneurs des Alpes Méridionales (en association avec l'Adem 06).

Notice :

« DE IRREGULARIS MUSICA »


La ville est un organisme vivant. Elle en a la complexité infinie, ses humeurs et ses recoins inexplorés. Comme dans tout processus d’enamoramiento, elle devient belle aux yeux de celui qui l’habite, à la mesure de ce qu’il en dévoile de charmes insoupçonnés. Quelle que soit notre origine, on s’approprie la ville, on la reconnaît comme nôtre, en construisant avec elle une relation, parfois douloureuse, mais qui toujours, au gré des affinités électives, enrichit notre imaginaire. La ville (ou tout autre lieu) a une âme. Appelons-la : Génie du lieu, qui le plus souvent sommeille. Llorenç Barber vient fugacement réanimer celui-ci et rendre le locus ludique.

Poétisant l’espace – ici, urbain- (in)fini dans le cadre d’œuvres démesurées dans leurs durées ou dans les moyens employés, Llorenç Barber s’efface devant les effets de ses provocations. La mise en vibration des cloches, les siennes ou celles de la cité, appelle en effet à l’(in)conscient collectif et individuel, remplissant et densifiant l’atmosphère de façon tumultueuse, primordiale. On ne vient pas écouter Llorenç Barber, sinon entendre la ville, sa mémoire, sa musique éphémère. Et celle-ci, malgré son apparent dépouillement, est par la voix campanaire, tellement chargée de résonances qu’elle s’emplit d’une infinité de connotations, de messages immémoriaux. Ecolalia ; conversations d’échos intérieurs et extérieurs réveillés par les cloches, jeux d’allers-retours incessants qui nous font éprouver les horizons lointains familiers, et inversement. Fleuve sonore aléatoire, qui est là et qui n’y est pas, qui naît de tant de sources différentes qu’il nous rappelle que nous aussi, grâce à la trame complexe et secrète des multiples références avec laquelle nous composons notre existence, sommes des No-te-entiendo hétérogènes et itinérants.

Musique pérégrine, omnibus qui suit le parcours obligé de la topographie du lieu. La sonorisation du territoire est riche de contradictions fécondes : les cloches sont profondément enracinées, inamovibles locutrices d’une rue ou d’un édifice. Une fois libérés de leur vocation spécifique, leurs sons se répercutent et se démultiplient de façon inattendue au gré des murs, concavités et autres tubes de résonances de l’urbanisme, sans mentionner les conditions atmosphériques. Nous entendons de façon erronée et de directions équivoques une musique vagabonde, avec  la possibilité de varier notre écoute comme n’importe quel flâneur : en changeant de site…

Llorenç Barber a sorti la musique de son contexte de chambre renfermé pour l’éparpiller à la croisée des chemins, pour composer avec le réel in situ, et ultimement, avec nostalgie, redécouvrir le sens du festif. Musicien des intempéries et des débordements naturels, il en assume les risques, les intègre même comme complices. Les éléments primordiaux se rajoutent ainsi à son installation musculaire, à la mécanique de l’effort physiologique du sonner de cloches. Face à la machine, c’est aussi redonner toute sa noblesse au geste de l’homme. D’où une richesse infinie de variations, dûes à la sueur (battements et pulsations sur la peau d’un corps collectif), à la fatigue d’un concert se déroulant tout au long de la nuit, et un certain état d’ébriété, catharsis se rapprochant dans une version urbaine et contemporaine des rituels de transes. Le son de cloche peut sembler désafiné, le temps incertain et la ville étrange : irrégularité d’un bouillonnement musical fécond, fracas sonore qui eut comme appellation antérieure celui de irrégularis musica, pour décrire le tumulte des fêtes publiques au Xvème siècle.

De l’esthétique du risque au risque de l’esthétique, l’œuvre de Llorenç Barber se situe quelque part entre les deux, abandonnant le rôle de « l’artiste » pour celui, beaucoup plus exigeant et périlleux (peut-être pour ne pas être classifiable ?), d’un humanisme héroïque. L’officiant en question devient occulté, mais il n’en continue pas moins de revendiquer une fonction sociale du musicien, de réintroduire le bucolique et le carnavalesque, d’agiter les mémoires empoussiérées, de secouer les réminiscences du passé et aussi, et surtout, de redonner à la Cité et à ses habitants, le sens d’une convivialité retrouvée, le désir collectif de l’être ensemble au sein d’une célébration dionysiaque.

Alain Limoges
Madrid, avril 1996





Extranet artiste Dernière mise à jour le 22/02/2008

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