CIRM : Centre National de Création Musicale UCA
Manca 2022
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PROFESSOR BAD TRIP

Professor bad Trip de Fausto ROMITELLI

Année de composition : 1998 - 2000

Formation :

Pour ensemble et électronique. Version chorégraphiée

Notice :

   
"Le Professeur Bad Trip et sa leçon de Chose"
 

“Depuis que je suis né, je baigne dans les images digitalisées, les sons synthétiques, les artefacts. L’artificiel, le distordu, le filtré - voilà ce qu’est la Nature des hommes d’aujourd’hui”, dit Fausto Romitelli, né à Milan en 1963.

A 28 ans, le compositeur s’installe à Paris pour suivre les cours d’informatique musicale à l’IRCAM. Il étudie les techniques “spectrales” initiées par Gérard Grisey et Tristan Murail : élaboration de complexes sonores où fusionnent harmonie et timbre ; simulation acoustique des sons électroniques ; modélisations « surréelles », par l’écriture, des phénomènes acoustiques sous formes de torsions, compressions, dilatations de la matière musicale. Ce grand chantier dédié à la plasticité du son, Romitelli en perçoit rapidement la possible liaison avec l’univers du rock alternatif et psychédélique. Une musique dont l'énergie, l’impureté, le recours impatient et anarchique aux artifices électroniques subjuguent plus d’un compositeur : de plain-pied dans l’époque et contre l’époque, cette musique délivre une charge de violence apparemment inintégrable par la musique d’écriture. Que faire de ça? Qu’on la cite, qu’on la pastiche, et on reste au seuil. On préfèrera dès lors la bouder, en feignant de croire qu’elle appartient totalement à la stratégie marchande; on sait pourtant que c’est faux. C’est armé des notions spectrales de « sons inharmoniques », de « filtrages fréquentiels », de « distorsion du spectre », que Romitelli entame sa négociation. La seule qui compte pour lui : s’approprier froidement ce délire-là sans renier son métier. Sans recourir à l’improvisation ni à la simplification, il élabore méticuleusement, au fil des oeuvres, un style instrumental qui accueille toutes les ressources du son sale, les phrasés capricieux des guitar-heroes et toutes les mutations harmoniques de la clarté vers l‘absolue distorsion.

Dans le cycle Bad Trip (...), sa poétique « obsessionnelle, répétitive et visionnaire » (ce sont ses termes) est en place. On peut y voir le Manifeste de Romitelli, qu’il place sous l’étoile d’Henri Michaux. Inspirée des descriptions par le poète des effets de la mescaline, la musique de « Bad Trip » procède par flux et reflux, rafales de vagues de plus en plus denses et de moins en moins stables : pureté harmonique d’abord, puis longue montée des scories et du désordre. Les processus à l’oeuvre dans Bad Trip s’enracinent toujours dans de courtes et naïves propositions, des « complexes » de bribes mélodiques un peu glissantes , d’harmonies séduisantes et fragiles, de brèves ornementations exaltées comme des soupirs. Sans avoir le temps de se déployer, ce matériel est d’emblée pris de secousses. Il se répète, mais on comprend qu’il était mutant, infesté de virus : il devient monstre. Les éléments du complexe s’hystérisent, se maniérisent et développent des métastases expressives, chacun pour son compte. L’harmonie s’alourdit, se surcharge ; le son se sature ; les glissandi s’amplifient et parcourent tout le spectre sonore, le temps musical se contracte... La musique de Bad Trip ne se « développe » jamais : elle s’aggrave.

“L’artificiel, le distordu, le filtré” : c'est de cette Nature dévoyée que traitent les Leçons du Professeur Bad Trip, aussi étrangères à la mélancolie qu'à l'optimisme technologique. Les pionniers de la musique électro-acoustique évoquaient aisément "l'infini des possibles" et les "ressources inouïes" de l'art de "composer le son". Au pays du Bad Trip, on n'en est plus là, serait-ce même sous la forme d'un deuil. Comme le repère finement Eric Denut, l'élément du timbre chez Romitelli ne se donne plus comme ressource infinie, mais comme agent mutilateur (1).

Là où se cherche la mise en forme par la reprise, la paraphrase et l'amplification, l'élément "timbre" défait les promesses et contredit les attentes en imposant d'improbables mutations, "figure abominable et indomptable"(2). En exergue de la partition de "Professeur Bad Trip", Fausto Romitelli place ce paragraphe de "Connaissance par les gouffres" d'Henri Michaux :

"Une vaste redistribution de la sensibilité se fait, qui rend tout bizarre, une complexe continuelle redistribution de la sensibilité. Vous sentez moins ici, et davantage là. Où “ici” et “là”? Dans des dizaines d’”ici”, dans des dizaines de “là”, que vous ne connaissiez pas, que vous ne reconnaissez pas".
(...)

Jean-Luc Plouvier (jacquette du CD)

(1) Eric Denut : "Fausto Romitelli, A short index".

(2) idem





Extranet artiste Dernière mise à jour le 13/06/2013

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