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Editorial
MANCA 2004"
LES GRANDS TRAVAUX"
Lorsque l’on compare,
à situation égale, la perception
de l’homme à la perception de l’oiseau,
on constate que les paramètres en présence
sont décryptés de manière
différente. Une même image (sonore
ou visuelle) peut être comprise d’une
infinité de manières. Dès
lors, choisir de conforter son champ de perception
ou accepter d’en explorer d’autres
moins immédiats contraint chacun à
un positionnement particulier quant au monde qui
nous entoure et donc à une certaine attitude
quant à la perception ou à la conception
d’œuvres d’art.
En effet, dans le domaine artistique, la production
d’œuvres s’inscrit dans l’une
ou l’autre de ces attitudes ; l’auteur
est alors confronté depuis toujours, dans
la définition de son projet, à un
dosage subtil entre pragmatisme et audace. Plus
exactement, en créateur responsable et
professionnel, il sera amené à gérer
son audace avec pragmatisme. Concrètement,
dans le domaine de la création musicale,
deux éléments influencent directement
la prépondérance de l’un ou
l’autre de ces paramètres.
Le premier élément est intemporel
: l’institution cherche (et cherchera) spontanément
à inscrire le processus de création
dans le cadre convenu d’une organisation
sociale fragile fondée sur un équilibre
institué au cours de siècles de
concerts et de représentations. Le fait
d’utiliser la technologie, de proposer d’autres
techniques d’écriture ou de concevoir
de grandes formes est souvent perçu comme
une atteinte à l’économie
traditionnelle de l’institution. De ceci
résulte au soir de la première deux
possibilités : soit le concert présentant
ces nouveaux enjeux est contraint de " rentrer
au forceps " dans le modèle organisationnel
traditionnel et c’est l’échec,
soit de nouvelles dispositions sont adoptées
en matière d’organisation des répétitions
et d’élaboration des calendriers
de travail et il est indéniable que dans
ce cas, ceci risque en effet de remettre en cause
des mécanismes bien huilés. Mais
n’est ce pas le prix à payer pour
aller de l’avant et libérer de nouvelles
audaces ?
Le deuxième élément est le
fruit de notre histoire récente, et il
est imputable aux créateurs eux-mêmes.
Ces derniers, récemment sortis de la "
tabula rasa " et des dogmatismes du début
de la deuxième moitié du XXe siècle,
préfèrent souvent, malheureusement,
se satisfaire de l’outil existant pour mieux
s’y faire admettre plutôt que de créer
avec opiniâtreté les conditions de
son évolution au risque de s’en faire
exclure.
Cette dynamique des renoncements, où le
pragmatisme a oublié l’audace, entraîne
inévitablement une standardisation de l’œuvre,
standardisation qui se trouve par ailleurs parfaitement
en phase avec une certaine économie de
la culture : celle-ci privilégiant la réponse
immédiate et efficace au détriment
de la réflexion, du doute et de la tentative.
S’il est bien un renoncement que le CIRM
organisateur du festival MANCA doit faire sien,
c’est bien celui de la standardisation.
Ainsi, on peut légitimement se demander
s’il n’est pas plus intéressant
d’élargir résolument nos champs
de perception plutôt que de chercher à
optimiser systématiquement ceux qui ont
été confortés et validés
par nos expériences plus ou moins récentes.
Nous préférerons toujours explorer
nos inquiétudes plutôt que de valider
nos certitudes. Pour cela, il faut s’atteler
à la tâche comme l’ont fait
au fil de l’histoire, dans des contextes
différents, nombre d’artistes. Ne
serait-il pas venu aujourd’hui le temps
de regarder le monde d’un autre œil
et d’entamer les grands travaux ?
À l’heure où nous écrivons
ces lignes, nous apprenons le décès
tragique du compositeur Fausto Romitelli. Cette
vingt cinquième édition du festival
MANCA est dédiée à sa mémoire.
François Paris
Directeur du CIRM
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