Edito MANCA 2005 (Nice)

Ce que j’aime particulièrement dans « Pierrot le fou » de Jean Luc Godard, c’est qu’à la fin du film, lorsque Jean Paul Belmondo se peint le visage en bleu, s’entoure de dynamite et fait tout sauter, c’est qu’en tant que spectateur, à ce moment précis, je trouve cela parfaitement normal. Ce que j’aime particulièrement dans la « Turangalila » symphonie de Messiaen, c’est que lorsque le compositeur prétend qu’à l’issue d’un immense climax avec tout l’orchestre au maximum de son intensité, il peut encore élever l’intensité sonore avec un simple piano, en tant qu’auditeur, à ce moment précis je souscris à son propos.
Ainsi, le son et l’image ont ceci de particulier que dans leurs développements temporels ils peuvent faire évoluer notablement le curseur de la normalité usuelle du spectateur. Dans le cas de Messiaen précité c’est le zoom rapide qu’effectue l’auditeur sur un seul piano opposé au plan large précédent (la totalité de l’orchestre) qui crée cette impression. Dans le cas de Godard, c’est un glissement progressif du rythme, du contenu et de la polyphonie sonore (dialogues, silences, musique, bruitages) qui contribue à nous éloigner progressivement de notre espace normatif.
Mozart disait être capable d’entendre son « Don Giovanni » en un instant, étrange a priori, normal pour un compositeur. L’idée musicale a ceci d’extraordinaire qu’elle est constituée d’une sorte de noyau dur, ou plutôt d’une image fixe à partir de laquelle va se développer logiquement le propos du compositeur dans le déroulement temporel. Cette série de variations n’est en fait qu’une interrogation répétée de la même image décryptée sous plusieurs angles.
Je partageais avec Fausto Romitelli un grand intérêt pour le travail de Francis Bacon. Nous n’y avons pas pris les mêmes choses : là ou Fausto Romitelli puisait une expression forte et désespérée («je suis un optimiste désespéré» disait Bacon), un aspect presque pasolinien, j’y trouvais certaines idées stimulantes pour la poursuite de mon travail sur l’anamorphose en musique.
En effet, chacun voit ce qu’il entend voir et chacun peut intégrer dans son imaginaire visuel, spectateur ou créateur, ce qu’il entend. C’est toute la beauté du mot interpréter qui est ici en jeu dans toute son acception. La communication entre les arts peut revêtir un aspect merveilleux lorsque chacun prend à l’autre afin que deux univers se parlent.
Dans ce sens, au début de la seconde moitié du vingtième siècle, Boulez a dit que les compositeurs étaient des « prédateurs », je souhaite aujourd’hui que notre génération s’attache plutôt à devenir de fins gourmets et à cultiver une certaine gourmandise. C’est cette gourmandise des rencontres, cette curiosité insatiable, cette beauté des propos croisés de l’image (incarnée ou non) et du son ainsi que ces dialogues parfois improbables et pourtant avérés que le festival vous invite à visiter cette année.
Écoutez voir ! ! !

François Paris