Musique sur le film "La grève" de Sergei Mikhailovitch Eisenstein.
Ce premier film d’Eisenstein pose d’une certaine
façon les bases du langage du cinéaste russe en rejetant d’emblée la
notion d’un cinéma d’acteurs, pour se préoccuper plus fondamentalement
d’un art de l’image, au travers du montage et de la construction
formelle. La portée politique du film, si elle reste indéniable (on
parlera du cinéma soviétique de cette époque en termes de propagande),
s’estompe au profit d’un travail où les enjeux purement artistiques
prédominent. C’est tout du moins la perception que j’ai pu avoir de
cette œuvre, dès le premier visionnement, où les questions de rythme,
d’articulation et de gestes m’ont semblé à l’origine même de
l’organisation temporelle et visuelle. La Grève reste pour moi un
tableau ; tableau en mouvements, où le noir et le blanc deviennent
couleurs, où la force d’une séquence est indissociable du tout, dans sa
pertinence structurelle. La Grève, film muet, se détache ainsi de la
parole, véhicule les symboles d’un monde bouleversé, transmet, jusqu’à
aujourd’hui, et c’est là sa force, les questionnements de l’homme, le
sens même de l’existence.
Pourtant, c’est par la dynamique de l’image, les contrastes
prononcés du rythme des séquences, la mise en scène excessive (devenant
allégorie) qu’une dimension philosophique peut naître et non pas par
une simple mise en image d’acteurs ou d’histoires charismatiques (comme
le cinéma peut le faire bien souvent aujourd’hui). On voit bien alors
comment l’idée musicale peut naître dans l’esprit du compositeur : la
musique est art du temps et de l’espace, du rythme et de la forme.
Mettre ce film en musique ne consiste pas simplement à combler un
silence (d’ailleurs Eisenstein le fait très bien tout seul !) mais
plutôt à tisser des trajectoires, à renouveler l’espace de la
projection dans une dimension sonore. Là est le projet de cette
création : apporter un nouvel “éclairage” de l’œuvre cinématographique
à travers une musique dont l’intensité rivalise avec celle du film,
induire un rapport de forces, concentriques ou divergentes, retrouver
l’énergie de l’image pour mieux la déconstruire et en donner une
“interprétation” sensible.
Pierre Jodlowski
La grève (1924) URSS, film muet
Noir et blanc - 73minutes
Scénario : S.M. Eisenstein, Valeri Pletnev & Gregory Alexandrov.
Photographie : Edouard Tissé & Vassili Hvatov.
Production : Goskino. Interprétation : Ivan Kljuvkin,
Alexandre Antonave, Grogori Alexandrov.
Une usine en Russie au début du siècle. Tout est calme, le patron
est souriant. Un groupe de militants prépare une grève. Un contremaître
les dénonce et le gouverneur militaire engage des indicateurs pour les
espionner. La grève est cependant déclenchée après le suicide d’un
ouvrier accusé injustement de vol. Le patronat organise la riposte, la
grève se prolonge. La police fait appel à la pègre pour monter une
provocation. L’assaut final est donné : c’est une véritable
« boucherie ». Ce film, le premier d’Eisenstein, porte et
développe déjà les théories du cinéma sur le montage. La Grève est une
révolution cinématographique enlevée par la fougue, l’audace et la
liberté du jeune réalisateur.
CIRM, Centre National de Création Musicale
33 avenue Jean Médecin, 06000 Nice
04 93 88 74 68 - Fax 04 93 16 07 66
Email : info@cirm-manca.org