Actualité du Dimanche 06 Novembre 2005 à 20h30
CONCERT MANCA 2005 - Pierre Jodlowski ‘‘Ciné-Concert‘‘
Dimanche 6 novembre 2005, 20h30 - Espace Magnan, Salle Jean Vigo (Nice).
Ciné/Concert
LA GREVE
Musique et diffusion électroacoustique
de Pierre Jodlowski
sur le film de Sergei Mikhalovitch Eisenstein
1h40
Commande de la création musicale de la Cinémathèque de Toulouse à Pierre Jodlowski.
Collaboration Cinémathèque de Toulouse / Mission Cinéma de l’Espace Magnan / CIRM.
Ce concert entre dans le cadre de la programmation « Cinéma des
Utopies » de la Mission Cinéma de l’Espace Magnan, qui projette
d’autres films de S.M. Eisenstein, en compagnie de spécialistes du
cinéma.
Technique CIRM
Spectacle filmé par la Mission Cinéma de l’Espace Magnan
Fin du spectacle 22h30
Après le premier film de Vigo, le premier film d’Eisenstein. C’est
Pierre Jodlowski, compositeur familier du CIRM (il a répondu à une
commande en 2003 pour trio et technologie) qui a travaillé sur ce film
de 1924. Les grandes innovations du langage cinématographique du
cinéaste sont déjà présentes dans ce « cinéma-poing » selon
son expression, en particulier dans le domaine du montage, élément
particulièrement déterminant pour un compositeur travaillant sur
l’image. À propos de Vigo, il s’agissait de dialogue entre le son et
l’image, pour Eisenstein, il s’agit plutôt d’une série de trajectoires
et d’amplifications comme le précise le compositeur :
« Mettre ce film en musique ne consiste pas simplement à combler
un silence (d’ailleurs, Eisenstein le fait très bien tout seul !)
mais plutôt à tisser des trajectoires, à renouveler l’espace de la
projection dans une dimension sonore. »
Eisenstein / Vigo, deux cinéastes de référence pour la programmation du
« Cinéma des Utopies », occasion pour le CIRM d’entamer une
première collaboration avec la Mission Cinéma de l’Espace Magnan de
Nice.
Pierre Jodlowski, compositeur (Toulouse, 1971)
Pierre Jodlowski a obtenu un Premier Prix de Composition au département
SONVS du Conservatoire National de Lyon en 1996. L’année suivante, il
est admis au cursus de composition et d’informatique musicale de
l'IRCAM. À partir de 1998, il s’attache au développement du projet
S.A.M - Structure d’Action Musicale - visant à la promotion des
musiques d’aujourd’hui en région toulousaine : fondation d'un
studio de recherche et de création et, lancement du festival “Novelum”,
entièrement consacré aux arts sonores d’aujourd’hui. Titulaire du C.A.
d'électroacoustique, il développe également une importante activité
pédagogique.
Il enseigne actuellement à l’Université de Toulouse ainsi qu’à l’École
d’Ingénieurs Supaero. Dans son travail, Pierre Jodlowski s’attache à
associer l’écriture instrumentale aux possibilités électroacoustiques
et s’intéresse à l’ouverture vers d’autres formes artistiques, comme la
danse, le théâtre et les domaines de l’image. Depuis 1999, il se
consacre essentiellement à la composition grâce à des commandes de
l’IRCAM, de L’Ensemble Intercontemporain, du Ministère de la Culture,
du CIRM, du festival de Donaueschingen...
Lauréat de plusieurs concours internationaux (Gaudeamus, Bourges, Luigi
Russolo, IRCAM / E.I.C.), il a obtenu le Prix Claude ARRIEU de la SACEM
en 2001.
La grève
Musique sur le film de La grève de Sergei Mikhailovitch Eisenstein
Musique électroacoustique
Ce premier film d’Eisenstein pose d’une certaine façon les bases du
langage du cinéaste russe en rejetant d’emblée la notion d’un cinéma
d’acteurs, pour se préoccuper plus fondamentalement d’un art de
l’image, au travers du montage et de la construction formelle. La
portée politique du film, si elle reste indéniable (on parlera du
cinéma soviétique de cette époque en termes de propagande), s’estompe
au profit d’un travail où les enjeux purement artistiques prédominent.
C’est tout du moins la perception que j’ai pu avoir de cette œuvre, dès
le premier visionnement, où les questions de rythme, d’articulation et
de gestes m’ont semblé à l’origine même de l’organisation temporelle et
visuelle. La Grève reste pour moi un tableau ; tableau en mouvements,
où le noir et le blanc deviennent couleurs, où la force d’une séquence
est indissociable du tout, dans sa pertinence structurelle. La Grève,
film muet, se détache ainsi de la parole, véhicule les symboles d’un
monde bouleversé, transmet, jusqu’à aujourd’hui, et c’est là sa force,
les questionnements de l’homme, le sens même de l’existence.
Pourtant, c’est par la dynamique de l’image, les contrastes prononcés
du rythme des séquences, la mise en scène excessive (devenant
allégorie) qu’une dimension philosophique peut naître et non pas par
une simple mise en image d’acteurs ou d’histoires charismatiques (comme
le cinéma peut le faire bien souvent aujourd’hui). On voit bien alors
comment l’idée musicale peut naître dans l’esprit du compositeur : la
musique est art du temps et de l’espace, du rythme et de la forme.
Mettre ce film en musique ne consiste pas simplement à combler un
silence (d’ailleurs Eisenstein le fait très bien tout seul !) mais
plutôt à tisser des trajectoires, à renouveler l’espace de la
projection dans une dimension sonore. Là est le projet de cette
création : apporter un nouvel “éclairage” de l’œuvre cinématographique
à travers une musique dont l’intensité rivalise avec celle du film,
induire un rapport de forces, concentriques ou divergentes, retrouver
l’énergie de l’image pour mieux la déconstruire et en donner une
“interprétation” sensible.
Sergei Mikhailovitch Eisenstein, cinéaste (URSS, 1898-1948)
Eisenstein est issu d’une famille de notable : père conseiller
d’état et ingénieur - mère appartenant à la grande bourgeoisie
marchande de Saint-Pétersbourg. Après avoir suivi la voix paternelle,
Eisenstein qui se passionnait déjà pour les arts plastiques, s’inscrit
aux cours des beaux-arts de Riga. En 1917, la guerre civile
éclate : alors que son père s’engage dans l’armée blanche
tsariste, lui rejoint les rangs de l’armée rouge. C’est évidemment un
grand tournant dans la vie d’Eisenstein qui voit dans la rencontre de
l’art et de la révolution la possibilité d’accomplir sa liberté
individuelle. Après ce passage déterminant aux beaux-arts et au théâtre
avec Meyerhold (figure puissante du théâtre moderne et l'un des
fondateurs du théâtre d'art et de la mise en scène) Eisenstein réalise,
en 1924, la Grève, avec le collectif du « théâtre du peuple »
(Proletkult). Le film est très remarqué et dès l’année suivante, pour
célébrer le vingtième anniversaire des événements de 1905 (…), le Parti
communiste de l’Union soviétique décide de produire plusieurs longs
métrages dont le Cuirassé Potemkine qui va rendre célèbre Eisenstein
dans le monde entier.
En 1926, Eisenstein met en chantier la Ligne générale, sur le thème de
la collectivisation des campagnes, film dans lequel apparaît pour la
1ère fois, le héros individuel. Le cinéaste interrompt la production de
ce film pour apporter sa contribution au 10ème anniversaire de la
révolution de 1917, avec Octobre, puis achève "la Ligne générale". Mais
le film est critiqué : on lui reproche de pratiquer un cinéma
intellectuel en abusant des symboles, en utilisant des métaphores, ce
qui a pour effet d’éloigner le peuple de ses films. On lui demande
aussi, suite à l’exclusion de Trotski du parti, de couper toutes les
scènes où ce dernier apparaît. Eisenstein entre dans une période de
doute et décide de prendre un peu de recul en parcourant le monde pour
une série de conférences. Il travailla quelques mois à Hollywood, puis
s’établit au Mexique pour y réaliser avec Tissé et Alexandrov une
nouvelle et gigantesque épopée (1929-1931). Une mauvaise période
commença alors pour lui : avant d’être terminé, Que viva Mexico
lui fut enlevé et il ne put jamais tenir en main ses négatifs pour
construire, par le montage, un monument filmique qui aurait peut-être
surpassé Potemkine. C’est profondément déçu, qu’en 1932, Eisenstein
retrouve le chemin de l’URSS et des studios soviétiques où il mène des
activités d’enseignement à l’école de cinéma nationale (VGIK). C’est
là, qu’il va élaborer une oeuvre théorique considérable, une réflexion
globale sur le cinéma donnant lieu à des ouvrages de plusieurs milliers
de pages (3900 pages).
En parallèle, il conçoit la mise en scène d’un nouveau film - Le Pré de
Béjine – qui sera définitivement interrompu en mars 1937 sur ordre du
responsable à la propagande. Eisenstein doit, une nouvelle fois, faire
amende honorable et, pour retrouver sa place dans le cinéma soviétique,
il propose une épopée nationale dans le goût du réalisme socialiste,
Alexandre Nevski. Le film est un immense succès et ce retour en grâce
lui permet alors de songer à une épopée fleuve, Ivan le Terrible. La
première partie (tournée de 1942 à 1944) présente, non un tyran
assoiffé de sang, mais un héros russe victorieux, soit tout ce dont
l’URSS avait besoin en ces années de guerre. La deuxième partie
(tournée en 1945 et 1946) montre le tsar régnant désormais par la
terreur absolue. Allusion trop transparente à l’actualité ? Cette
partie est interdite comme étant "historiquement incorrecte" et le
demeurera jusqu’en 1958. La troisième partie ne verra jamais le jour,
d’autant plus qu’Eisenstein est frappé par la crise cardiaque qui,
finalement, l’emporte à l’âge de 50 ans.
Ses films ont une influence considérable sur le cinéma et l’évolution
de son langage, notamment sur le plan du montage. Murnau, Sternberg,
Gance, Cocteau... et plus proche de nous Robert Bresson, Alain Resnais
et Jean-Luc Godard, ces cinéastes pour qui le montage est le fondement
même de l’écriture cinématographique.
La grève (1924) URSS, film muet
Noir et blanc - 73minutes
Scénario : S.M. Eisenstein, Valeri Pletnev & Gregory Alexandrov.
Photographie : Edouard Tissé & Vassili Hvatov.
Production : Goskino. Interprétation : Ivan Kljuvkin,
Alexandre Antonave, Grogori Alexandrov.
Une usine en Russie au début du siècle. Tout est calme, le patron est
souriant. Un groupe de militants prépare une grève. Un contremaître les
dénonce et le gouverneur militaire engage des indicateurs pour les
espionner. La grève est cependant déclenchée après le suicide d’un
ouvrier accusé injustement de vol. Le patronat organise la riposte, la
grève se prolonge. La police fait appel à la pègre pour monter une
provocation. L’assaut final est donné : c’est une véritable
« boucherie ». Ce film, le premier d’Eisenstein, porte et
développe déjà les théories du cinéma sur le montage. La Grève est une
révolution cinématographique enlevée par la fougue, l’audace et la
liberté du jeune réalisateur.