J’ai accepté avec grand plaisir la commande proposée en 2006 par François Paris au nom du C.I.R.M., car c’était pour moi l’occasion d’explorer certaines possibilités du « temps réel », en surmontant une méfiance ancienne. C’était aussi l’occasion de retravailler avec Armand Angster, avec qui depuis plus de vingt ans j’ai entretenu une collaboration privilégiée sous la bannière de son groupe Accroche Note.
Cette pièce pour clarinette et ordinateur qui lui est dédiée se présente comme une longue série de dialogues entre l’instrument et les haut-parleurs. J’ai quelque peu renoué avec l’esprit ludique qui caractérisait en 1984 Aulodie, pour petite clarinette et bande. Mais cette fois le soliste est davantage maître du jeu : c’est lui qui déclenche les sons enregistrés, maîtrisant ainsi davantage le déroulement du temps, grâce à la technologie du CIRM.
Les dialogues s’engagent avec des chuchotements de voix synthétiques, puis avec des locuteurs de langues suffisamment rares pour qu’on renonce d’emblée à les écouter autrement que comme des présences musicales. Elles viennent du Caucase comme le tcherkesse-adyghe, du Mexique comme le Mixe, du Canada comme le Tuchone, et de Papouasie comme l’Arapesh et l’Autu. Sauf le tcherkesse, elles ne sont plus parlées que par quelques centaines de personnes.
Puis c’est avec des sonorités et des musiques provenant également de tous les continents que se poursuivent les dialogues, souvent très virtuoses. Je voyageais en Afrique noire et en Asie tandis que je composais cette pièce, et les trompes ou les percussions africaines, tout comme le koto japonais ou les bols tibétains, ont laissé quelques traces dans une partie de l’œuvre. Pour finir, ce n’est plus avec des humains ni avec des musiques que dialogue le soliste, mais avec la nature, et en particulier les sons de la pluie. Des archétypes comme le jeu, l’écho ou les répons, sont présents dans cette œuvre comme dans la plupart des musiques humaines et animales. Si l’on veut bien admettre qu’ils appartiennent eux-mêmes à la nature, ce Manuel de conversation abandonne peut-être son dessein initial, dans la longue contemplation finale, pour passer des dialogues à une sorte de « rêverie du promeneur solitaire », comme aurait dit Rousseau.
François-Bernard Mâche
(Photo de gauche : F-B Mâche, A. Angster et R. Meier) - (photo de droite : A. Angster)
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