Fausto Romitelli, la plus raffinée des oreilles au service de la
corruption et des mauvais trips... Somptueux arpèges de bois, harmonies
résonantes, guitares électriques alanguies... tout un matériel musical
cousu d’or, qu’il ne met à jour que pour mieux le corroder, à la
manière dont Greenaway explorait à haute vitesse, dans «Zoo», le destin
des chairs faisandées. A la lisière de la «musique contemporaine» et du
rock psychédélique, dans des tempos lents , plombés, lourds de fatigue,
où toute sonorité glisse lentement vers sa distorsion et son usure,
«Index of Metals» sonne comme un long Requiem. Mais requiem pour qui ?
Pour toute réalité sensible et palpable, dirait-on, pour la matière
elle-même, qu’on voit reluire et scintiller sur les trois écrans
géants, danser d'absurdes ballets de molécules, et chuter finalement
dans le vertige terminal d’un recycleur à déchets. A travers Pink Floyd
et Pansonic, à travers le son filtré et l’image saturée, Romitelli dit
sa lassitude d’une musique « pure » ; mais il invente un nouveau
sublime.
An index of metals (2003)
Note d'intention de Fausto Romitelli
Au centre de mon activité de compositeur se trouve l’idée de considérer
le son comme matière à forger. Grain, épaisseur, porosité, brillance,
densité, élasticité sont les caractéristiques principales de ces
sculptures de sons obtenues par l’amplification, les traitements
électroacoustiques mais aussi l’écriture purement instrumentale. Après
« Professor Bad Trip » où les harmonies instrumentales sont
comme perçues sous mescaline : saturées, distordues, liquéfiées, il m’a
semblé indispensable de poursuivre cette recherche aux limites de la
perception en projetant le timbre comme une lumière. Aller au bout de
cette hallucination qui rend le son visuel.
« An Index of Metals » a pour projet de détourner la forme
séculaire de l’opéra vers une expérience de perception totale plongeant
le spectateur dans une matière incandescente aussi bien lumineuse que
sonore ; un flux magmatique de sons, de formes et de couleurs, sans
autre visée que l’hypnose, la possession et la transe.
Rituel laïque à la manière des light shows des années soixante, de la
rave party d’aujourd’hui, où l’espace, solidifié par le volume sonore
et la saturation visuelle, semble se tordre en mille anamorphoses.
Loin de solliciter uniquement nos capacités analytiques comme
l’essentiel de la production contemporaine, « An Index of
Metals » veut s’emparer de notre corps par cette surexposition
sensorielle et onirique.
« An Index of Metals » n’est donc pas une nouvelle tentative
de renouveler l’opéra en y ajoutant l’image comme adjuvant à la mise en
scène. Ni une approche strictement multimédia où chaque artiste
illustre de son côté une narration commune. C’est le projet tout à fait
original de penser conjointement le son et la lumière, la musique et la
vidéo, d’utiliser timbres et images comme éléments d’un même continuum
soumis aux mêmes transformations informatiques. L’histoire est celle de
cette fusion de la perception, de cette perte des repères, de notre
corps devenu sans limites dans la fournaise d’une messe des sens.
Le texte original de Kenka Lekovich se déforme lui-même passant d’une
langue à l’autre. Ma musique (pour soprano et onze instruments
amplifiés) développe un timbre impur en contrepoint des interférences
colorées de la vidéo de Paolo Pachini et Leonardo Romoli. Trois films
autonomes, diffusés sur trois écrans, occupent tout l’espace visuel. Le
son s’y projette en taches lumineuses. L’image exploite les mêmes
caractéristiques physiques que la musique : irisations, corrosions,
déformations plastiques, ruptures, incandescence et solarisation de
surfaces métalliques qui révèlent leur nature intimement violente et
meurtrière.
Composer visuellement le son, filmer acoustiquement l’image, les
soumettre aux mêmes transformations informatiques demande une période
de développement afin d’unifier les outils de capture et de
manipulation de ces deux univers.
Les phases de recherche puis de production des traitements
électroacoustiques et vidéos sont poursuivies en collaboration par un
petit groupe d’artistes et de techniciens au sein de leurs propres
structures, puis réunis pour la post-production au Centre du Fresnoy :
Leonardo Romoli (vidéaste), Paolo Pachini (informaticien musical,
vidéaste, producteur exécutif), Francesco Giomi (informaticien
musical), Fausto Romitelli (compositeur). Ce groupe gère aussi la mise
en espace de l’oeuvre et la direction de la vidéo, du son et de
l’éclairage pendant la représentation.
« An Index of Metals » sera cette narration abstraite et
violente, épurée de tous les artifices de l’opéra, un rite initiatique
d’immersion, une transe lumino-sonore.
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